
Les relations diplomatiques entre l’Union européenne et la Hongrie ne cessent d’animer les débats au sein des institutions européennes, tout en accroissant la méfiance des partenaires vis-à-vis du gouvernement hongrois. La perspective de voir la Hongrie présider le Conseil de l’Union européenne de juillet à décembre 2024 délie les langues et fait craindre aux parlementaires une situation très inédite : la présidence tournante confiée au pays le plus eurosceptique de l’Europe. La semaine dernière, plusieurs parlementaires européens ont exprimé leurs inquiétudes quant à cette rotation.
Des inquiétudes qui portent sur plusieurs plans
Tout d’abord, symboliquement, le pays présidant le Conseil de l’Union européenne est censé représenter l’Europe des droits. Or, depuis plusieurs années, la Hongrie critique constamment cette Europe des droits dont les principes ne sont pas respectés par son gouvernement. Promouvoir l’État de droit, alors que le gouvernement Orban n’a de cesse de réduire les libertés individuelles et de fragiliser les instances de contre-pouvoir, paraît assez peu compatible. Par ailleurs, le dossier hongrois est toujours sur la table européenne et, par mesure de sanction, la quasi-totalité des financements sont pour le moment suspendus : aussi bien les financements relatifs au plan de relance européen que les fonds récurrents de l’enveloppe 2021-2027, coupant ainsi le pays de cette manne financière dont il a besoin pour son rattrapage économique et les transformations nécessaires pour réussir sa transition énergétique. Sur ce dernier sujet, le chemin reste long et laborieux. Le Premier ministre considère en effet que les efforts pour maîtriser les émissions de CO2 nuisent à l’économie du pays, on peut donc craindre que ces efforts restent assez superficiels.
Deuxième question centrale pour l’Europe, le positionnement géopolitique du gouvernement hongrois, assez gênant et en contradiction avec la position plus ou moins commune de l’Europe. En effet, Viktor Orban, depuis longtemps proche de la Russie et de la Chine, se rapproche encore plus des deux pays dans le contexte actuel de la guerre en Ukraine. Il y a certaines actions qui relèvent clairement de la provocation. Mais, au-delà, la Hongrie a besoin de financements, surtout dans un contexte économique qui devient de plus en plus difficile, avec la hausse des prix et des dépenses publiques. L’Europe ayant suspendu les financements en vue de faire reculer le gouvernement hongrois sur les réformes illibérales, la voie orientale est donc très utile en plus d’être souhaitée. Le gouvernement souhaite attirer des investissements chinois en Hongrie. Toutefois, cette politique se heurte à l’opinion publique dont le soutien à la présence chinoise dans le pays faiblit sensiblement. Pour la Chine, la Hongrie demeure un des maillons-clés de l’aboutissement des routes de la soie : une porte d’entrée pour les exportations vers l’Europe.
La relation avec la Russie est également très ambiguë. L’amitié des dirigeants des deux pays n’est plus à commenter, mais les actions de blocage ou de ralentissement des décisions européennes en termes de sanction contre la Russie sont pénibles et gênantes pour les pays membres et surtout pour l’efficacité des mesures. Dans ce cadre, une présidence hongroise pourrait davantage affaiblir la crédibilité de l’Union en ce sens et ralentir les processus.
Enfin, en dehors de la question de la présidence hongroise, le risque réglementaire hongrois freine de plus en plus d’investisseurs qui peinent à se projeter à long terme dans le pays. Certes, des conditions favorables en termes de coût de la main-d’œuvre et de sa qualification sont des arguments attractifs, mais l’environnement réglementaire incertain ainsi que la montée de la corruption depuis quelques années ne présagent rien de solide pour la croissance potentielle du pays.
Rappelons également que l’inflation est depuis 2022 une des plus élevées d’Europe (autour de 15%) et devrait encore augmenter en 2023. Le solde budgétaire se creuse rapidement en raison également des mesures de soutien aux prix. Le profil d’endettement reste assez critique pour une économie émergente avec un double endettement public (73% du PIB) et externe (166% des exportations de biens et services) assez élevé. Le solde courant a largement souffert de la baisse des exportations et de la hausse de la facture des importations, le secteur industriel étant très dépendant des énergies fossiles importées.
Pour conclure, V. Orban avait, de façon assez pragmatique jusqu’à présent, les moyens financiers de sa politique illibérale, mais ce n’est désormais plus le cas. L’Europe reste ferme et s’oppose enfin à cette politique. Reste toujours les aides chinoises mais qui ne sont pas aux mêmes conditions que celles de l’Europe. Les difficultés économiques ne tarderont pas à se faire sentir auprès de la population et la résistance du discours et la politique de V. Orban seront mises à l’épreuve. En attendant, sa capacité de blocage reste très élevée.